Monsieur le Doyen, Cher Maitre
A chaque étape de ma vie, j’ai
rencontré des personnes qui m’ont inspiré, qui m’ont guidé par les faits, les
gestes, la parole comme par le silence. C’est avec une forte émotion que je
vous adresse la présente, l’écrit étant à mes yeux, plus éloquent que la
parole. Car je ne saurais en face de vous, prononcer ni articuler. Vous faites
partie de ces personnes qui, sans elles je ne serai pas ce que je suis
aujourd’hui. Petit écolier à l’Ecole Régionale de Bakel, je me suis retrouvé,
avec bien d’autres et pendant des années, devant un Monsieur qui a représenté
pour nous le Maître, l’inspirateur, mais aussi le parent, l’oncle, le père avec
qui nous avons vécu aussi autrement et ailleurs qu’à l’école. Vous nous avez
éduqué, couvé, mais sans faiblesse ni complaisance, avec la fermeté et l’amour
que l’on connait chez tout grand homme. Nous les enfants de Tiyaabu vous somment
redevables de cette rigueur toute gajaaganke que vous nous avez inculquée, et
qui nous accompagne encore. Vous avez été pour nous un homme de sacrifice, de
don de soi car souvenez vous, pendant des années vous avez sacrifié vos
vacances au village pour nous rassembler tous les soirs et nous faire réviser,
anticiper sur les classes à venir. Mais au-delà de ces préoccupations
scolaires, vous nous avez appris simplement à vivre en communauté, vous nous avez
appris la vie, vous nous avez appris à pêcher, au propre comme au figuré. Au
propre parce que souvent nous vous accompagnions au fleuve pour la pêche, et
pendant ces séances nous avons tant appris de vous, des autres et du monde.
Je reviens à l’école, pour vous
rappeler des choses que vous avez certainement oubliées, ma mémoire d’enfant les
ayant rangées quelque part. Je disais que vous faisiez partie de ceux qui m’ont
inspiré et continuent de m’inspirer. Je me plais toujours à raconter à mes
étudiants que c’est dès mon premier jour à l’école, devant un maitre
impressionnant aux yeux de ce petit garçon de sept ans, et au CM2 devant un
autre encore plus impressionnant que j’ai décidé que je deviendrai enseignant,
et rien d’autre que ça. C’était un certain Kounta Mame Cheikh et un certain
Diaman Bathily. Et je n’ai jamais renoncé à cette ambition, malgré toutes les
opportunités de carrières qui m’étaient offertes à ma sortie de l’Université. Il
n’y a pas de regret, au contraire. Mais je ne sais pas si un jour je vous
ressemblerai comme je l’ai toujours souhaité. Permettez- moi de vous rappeler
une anecdote. C’était en 1966, en classe de CM2 A dont vous aviez la charge
malgré vos lourdes responsabilités de Directeur. On était nombreux et vous
aviez fait de nous des élèves excellents : Souleymane Ndiaye, Mamadou
Diallo, Demba Mangassy, Lassana Cissokho, Sourakhé Ndiaye, Kébé Karim qui était
avec Babacar Thioune, pour ne citer que ceux là, venus après des ténors comme
les Abdoul Aziz Bathily, les Bèye Seydou, les Sow Seydou, Mamadou Diabakhaté
etc. Dieu nous a gratifié d’être vos élèves en ces temps bénis où l’école était
encore l’école. Je disais donc qu’un jour, en cette année 66, en classe, je me
suis mis, inconsciemment, à pédaler sur une grosse ardoise en bois sous mes
pieds, sans penser que le bruit que je faisais pouvait agacer mes camarades bien
concentrés sur leur devoir (puisque moi j’avais fini). Sans me rendre compte
que vous me surveilliez du coin de l’œil. Et brusquement, je vois un objet voler
dans ma direction, que j’ai évité instinctivement. Vous m’avez donné l’ordre de
le ramasser et de vous l’apporter. Ce que je fis en tremblant, cela pouvait se
comprendre. Et pourtant cet objet a toujours trôné sur votre bureau. Et sans
autre commentaire et calmement, comme si vous n’aviez jamais été agacé, vous
avez tout simplement dit : « ça
c’est UN CLASSEUR ». Je ne
connaissais ni ce mot, ni cet objet et toute la classe a appris en même temps
que moi ce que c’était qu’un classeur. J’en ai bien d’autres, qu’il serait fastidieux
de citer. Voilà pourquoi j’ai dit que vous nous avez inspiré par l’exemple. La
pédagogie du geste et parfois du silence, que j’essais d’appliquer à tout
instant.
Cher Maitre, cher Doyen,
permettez moi de revenir à nous, à Tiyaabu, ce village qui nous est cher, et
qui a fait de vous, de nous, et de nos ancêtres ce que nous sommes. Le
prétexte, c’est cette thèse, cette modeste contribution à la connaissance du
Gajaaga, de Tiyaabu, que je vous envoie pour que vous mesuriez l’impact et la
profondeur de votre sacrifice pour nous. Mais cette thèse, soutenue l’année
dernière le 20 juillet 1991, n’est pas le fruit d’un hasard ni d’un accident de
recherche. Cette thèse sur le « Système foncier du Gajaaga » est partie du
10è siècle pour aboutir à cette fin du 20è siècle ». Elle m’a été inspirée.
Peut être même avant ma naissance. C’était un devoir filial d’un fils envers
ses pères. Envers ceux qui m’ont précédé
sur ce terrain, dans ce Gajaaga et qui m’ont ouvert à la connaissance, ces
personnes généreuses qui ont bien voulu partager leur science, leur passion
pour Tiyaabu. Et cette passion, comme une maladie contagieuse, m’a contaminé et
j’en ai fait mienne ; peut être que d’autres viendront après moi pour
perpétuer cette œuvre. Vous m’avez appris, comme le Pharaon Khéti à son fils
Mérikarê, à aller chercher la connaissance dans les livres, mais aussi auprès
de grands. Mes Grands, ceux qui m’ont inspiré, c’est Ibrahima Diaman Bathily
qui reste pour moi le Maitre déclencheur, c’est Diaman Bathily, c’est Abdoulaye
Bathily, c’est Boubou Ndiaye et Silman Bathily, c’est Abdoul Aziz Bathily,
c’est mes grands pères Bouna et Moussa Fenda, Counda Goudia Bathily et tant d’autres. Vous vous en rendrez compte en lisant cette
modeste contribution. Vous verrez que
n’ai rien inventé. Je n’ai fait que dire autrement ce que vous avez dit
avant moi. Mais cher Doyen, vos efforts pour moi ne se sont pas limités à la
thèse puisque dans la foulée, je me suis présenté au Concours d’Agrégation, en
novembre 91, où j’ai été agrégé en droit en étant major du concours, qui
rassemblait les candidats de tous les Etats francophones d’Afrique. Le mérite
vous en revient, car moi je n’ai fait que m’insérer dans cette ligne
d’excellence propre à Tiyaabu. Pour reprendre le Roi Khéti, moi, fils de
Tiyaabu, je suis Grand parce que formé et inspiré par le Grands d’un Grand
village. Car Grand est Grand le Grand dont les Grands sont Grands.
Ce modeste travail en guise de
reconnaissance éternelle à un bâtisseur de consciences. Témoignage d’un
disciple envers son Maitre. Puissiez- vous vivre longtemps pour continuer à nous
inspirer et en inspirer d’autres. Salutations très respectueuses.
Professeur Samba TRAORE
Agrégé des Facultés de Droit
Université de Saint-Louis Saint Louis le 22 mars 1992
B.P 234
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